Des chercheurs de l’EPFL ont mis au point une machine plus écologique et plus économique que les systèmes actuels pour fabriquer de l’eau potable à partir d’eau de mer. Une spin-off, Aqualife Global, vient d’être fondée afin de développer et commercialiser cette technologie.
On le sait, les abus de la consommation, les activités industrielles ainsi que l’accroissement de la population mondiale notamment, font peser une menace sur l’accès à l’eau potable pour une partie croissante de la population. Près de 700 millions de personnes en souffrent d’après les chiffres de l’Unesco (2012). Un nombre qui pourrait atteindre les 1,8 milliard d’ici 2025. La désalinisation et l’assainissement de l’eau industrielle fournissent de nouvelles et importantes ressources déjà utilisées par de nombreux pays ou régions comme les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, la Chine, l’Europe ou encore les Etats-Unis. Les systèmes utilisés pèchent cependant par les coûts et la dépense énergétique qu’ils engendrent. Jeff Ong, du Laboratoire de synthèse et de catalyse inorganique de l’EPFL, a mis au point un appareil de traitement de l’eau qui allie les avantages de chacune des principales technologies utilisées actuellement tout en gagnant en performance. Le prototype peut par exemple se targuer d’éliminer plus de 99.9% du sel au même débit tout en étant moins gourmand en énergie. Le système va faire l’objet de tests en conditions réelles dès cette année.
Un débit plus élevé
La principale technologie utilisée actuellement pour la désalinisation à grande échelle repose sur le principe de l’osmose inversée. Lorsque deux liquides identiques séparés par une membrane semi-perméable ont une concentration différente en sel -ou autres minéraux-, celui qui en comporte le moins passe au travers de la membrane jusqu’à ce que la concentration s’équilibre. Afin d’inverser ce processus naturel et donc de maximiser la quantité d’eau douce, une pression est appliquée sur la partie la plus concentrée afin que l’eau reflue à travers la membrane de filtration vers l’eau potable. Cette technique est relativement gourmande en énergie électrique (env. 4-5 kWh/m3) et provoque la détérioration rapide des membranes, ainsi que d’autres pièces usées par les particules de minéraux. Celles-ci doivent être nettoyées chimiquement plusieurs fois par an puis remplacées très régulièrement. “Cela engendre des coûts d’entretien importants pour les entreprises”, commente Jeff Ong. Les membranes utilisées par la spin-off sont en matériaux hydrophobiques inertes qui s’usent moins rapidement et sont recyclables à bas coût.
Faire bouillir l’eau avec des éléments de récupération de chaleur
Afin de maximiser le pourcentage de séparation du sel, qui grimpe avec ce prototype à plus de 99.9%, Jeff Ong a combiné une succession de modules de désalinisation par évaporation. Pour pallier au principal point faible de ce système, la consommation d’énergie, le chercheur a misé sur plusieurs améliorations dont une récupération de chaleur interne et un transfert de chaleur plus performant. L’eau peut ainsi être amenée à ébullition à moins de 80 degrés lors de son premier passage. La vapeur produite est refroidie et récupérée sous forme d’eau. Le reste du liquide, encore chargé en sel, passe dans une autre cellule avec une pression encore inférieure, et ainsi de suite. Des éléments de récupération de chaleur permettent d’utiliser pour le préchauffage et la vaporisation l’eau salée qui reste, sans consommation d’énergie extérieure au système. À chaque étape, la vapeur produite est refroidie et l’eau douce ainsi obtenue est récupérée. Les tuyaux d’évacuation de celle-ci sont placés de telle manière qu’ils servent de système de refroidissement de l’engin. En utilisant de la chaleur perdue, E-Mets a une empreinte carbone bien inférieure au thermique conventionnel. «Ces principes de flux d’évaporation et refroidissement sont normalement employés dans les entreprises d’énergie nucléaire, souligne Jeff Ong. Ce concept est le premier de son genre dans le domaine de la séparation de l’eau.”
Traiter l’eau très salée
Les récentes améliorations de ce prototype hybride ont permis d’arriver de plus à un gain de temps puisque le flux est maintenant jusqu’à deux fois plus important que celui des systèmes à osmose inverse. Finalement ce nouveau système présente également l’avantage de pouvoir traiter des solutions très concentrées en sel: plus de 200 g/L, c’est -à-dire deux fois plus en comparaison avec les technologies de séparations thermales, et plus de quatre fois que l’osmose inversée. Cette forte concentration se trouve par exemple dans la solution produite en fin de traitement par les usines qui utilisent l’osmose inverse.
Le marché de la désalinisation est prévu pour valoir 27,4 milliards de dollars en 2025, alors que l’eau et son traitement sont évalués à 675 milliards. Le chercheur vient de lancer une start-up, Aqualife Global, avec son collègue Mahbod Heidari, afin de commercialiser E-METS. L’agencement modulaire du système lui confèrent la possibilité d’être adapté à la quantité d’eau à traiter. Dès cette année, l’ambition des cofondateurs est de mettre au point une version qui pourrait tenir dans un container. Elle pourra ainsi facilement être transportée et branchée là où le besoin s’en fait sentir. Outre la désalinisation, ce dispositif peut être connecté en complément à des entreprises de désalinisation par osmose inversée afin d’augmenter la production de davantage d’eau potable désalinisée. Les cofondateurs envisagent d’ailleurs de nombreuses autres applications telles que l’assainissement de l’eau de minage plus spécifiquement pour l’industrie de minage du lithium, la désulfurisation de l’eau rejetée par les entreprises électriques, l’alimentation, les secteurs de l’agriculture et du traitement des eaux issues de l’agriculture et du traitement de l’huile et du gaz.